mercredi, février 28, 2007
Aveu
Je suis une handicapée du supermarché.
Ca m'angoisse.
Mais vraiment.
D'abord, c'est loin.
Toujours trop loin.
Ensuite, je n'ai jamais la pièce de 1 euro qui va bien et mes jetons ne marchent plus (pourquoi, mystère). Je me retrouve donc souvent à trimbaler un cabas bleu rempli à ras bord en zig-zaguant névrotiquement.
Névrotiquement, parce que je rentre en transe dès l'entrée du magasin. Ca fait rire Grodoudou, mais moi, je souffre.
Je ne sais plus où donner de la tête, je perds le fil de ma liste, je m'égare et paf, je me retrouve immobile devant les boites de thon. Ou les biscuits apéro.
Je reste 15 minutes au rayon linge de maison, à me demander si je n'ai pas besoin de trois oreillers pour le prix de 2.
Je ne trouve pas mes yahourts natures au rayon yahourts.
J'ai oublié quelque chose, mais quoi ?
Quand j'arrive enfin à la caisse, l'angoisse monte encore d'un cran. De toutes façons la mienne sera la plus lente, oui mais pas forcément, si ?
Si.
En plus les gamins de la dame de derrière n'arrêtent pas de hurler. Et le Monsieur devant moi ne retrouve plus sa carte de fidélité.
Je veux sortir.
Bien entendu, j'ai oublié mon panier politiquement correct. Pourtant, je le sais, les sacs plastiques (gratuits), c'est maaaaal.
Mais pas les sacs poubelle payants, zavez remarqué ?
Je finis par passer, je jette tout pèle mèle dans le cabas bleu. Il me reste encore l'équivalent de deux sacs à caser là-dedans (mais comment ça rentrait avant ? C'était zippé ou quoi ?) quand la caissière me lance, vaguement agacée, "74,20€, s'il vous plait !".
La dame de derrière a un sourire moqueur.
Je me sens nulle, inadaptée.
J'ai 12 ans et j'arrive en pantoufles à l'école.
mardi, février 27, 2007
2001:28 - Open space
Nous sommes une trentaine, entassés comme dans un sous-marin.
Les bureaux sont joliment arrangés en fleurs, mais les fenêtres sont closes et les volets fermés, été comme hiver.
Il fait froid. Toujours froid.
Pourquoi faut-il que ce crétin monte la clim' et reste en pull ?
J'ai froid.
Les machines font du bruit, un bruit de fond, un sifflement, qui grignote peu à peu mes nerfs.
Si seulement il ne faisait pas aussi froid.
Les deux équipes n'ont pas grand chose en commun. Eux ont le vent en poupe, ils en profitent, imposent leur loi dans l'open space.
Ils me gonflent, les ouineurs.
Aujourd'hui ma voisine à la voix de crécelle se tait. Elle est gentille, toujours malade, mais ne dit rien. Elle.
Moi j'ai froid.
Mon téléphone sonne. Tout le monde tend l'oreille.
Mamie ?
Qu'est-ce que tu racontes ?
T'es sûre que ce n'est pas un film ?
Ok, je regarde.
Je n'arrive pas à accéder à CNN.
Un mail de S. Elle a des copains à New York, ils ont peur. Est-ce que tu arrives à te connecter sur CNN ?
Oui, ça y est, enfin !
Putain !
Tout le monde me regarde, je dépasse encore leurs bornes.
Des avions se sont crashés dans le World Trade Center !
Quoi ?
Les copains roulent jusqu'à mon bureau.
On se passe les images en boucle, c'est iréel.
On apprend par S. que d'autres avions sont tombés.
Ce n'est plus une coïncidence.
On se regarde, effarés.
La fin d'un monde.
Les autres continuent à bosser.
Leur monde peut bien s'écrouler.
mardi, février 20, 2007
2002:29 - Les 5 dernières minutes
C'était un lundi.
Un lundi de novembre.
Le 25.
Le week-end avait été difficile entre nous.
Je me sentais mal, j'étais allée voir un ami pour en parler.
Il m'avait réconfortée, redonné confiance, persuadée que tout allait s'arranger.
Et je suis rentrée ragaillardie.
Je venais de franchir le palier quand je t'ai vu.
Et j'ai su que rien n'allait s'arranger.
Tu avais l'air bizarre, comme sur le point de pleurer.
Je t'ai demandé ce qui se passait.
Tu as secoué la tête, incapable de parler.
J'ai dit, j'ai hurlé, que je ne méritais pas ton silence.
Alors les larmes ont coulé sur tes joues, libératrices, et tu m'as enfin dit.
Depuis combien de temps ?
Six mois !
Et tu l'aimes ?
Oui.
Tu ne m'aimes plus ?
Plus comme avant.
Tout est blanc dedans.
Je vais tomber.
Ne tombe pas, ne tombe pas.
Ne pas rester là, surtout ne pas rester là.
Je vais aller chez ma mère, en attendant que tu partes.
Tu vas déménager quand ?
Tu veux garder l'appartement ?
Mais tu ne pourras pas payer !
Elle va venir vivre ici avec ses trois enfants ?
Oui, bien sûr, tu peux le garder.
Putain, je ne vois rien avec toutes ces larmes.
Je dois me concentrer.
Prendre des sous-vêtements, une trousse à toilette.
Un livre.
Je n'arrive plus à te parler au milieu des hocquets.
La commode, des chaussettes.
Je ne veux pas que tu couches avec elle dans notre lit.
Je ne veux pas.
Tu entends ?
Je hurle.
Pourquoi tu pleures ?
Un pull.
Je reviendrai chercher le reste plus tard.
Je vais m'écrouler si je ne pars pas maintenant.
Je ne veux pas. Pas devant toi.
La porte est loin, je ne veux pas te regarder.
Tu me dis quelque chose, je m'arrête.
Je veux te hurler dessus, te frapper,
te tuer.
Mes bras tremblent.
Je vois mon doigt tendu vers toi.
Les mots se bousculent.
Je serre les dents.
Non !
Non, je ne veux pas.
Ce serait trop facile.
Je veux que tu souffres.
J'ouvre la porte et je sors.
...
Huit ans, jour pour jour, que je me cachais grace à toi.
Merci de m'avoir aimée, merci de m'avoir libérée.
2003:30 - le réveil
J'ai perdu des pans entiers de mon enfance mais je me souviens très bien de ces six premiers mois de 2003, avant la canicule.
Six mois enterrée, dans l'appartement de ma grand-mère, dans une banlieue assez éloignée.
Seule.
Seule après 8 ans passés à me cacher dans un couple.
Seule avec des fantômes de partout.
Je mets une chaise contre la porte, la nuit, pour m'en protéger.
Je génère mon propre froid, je n'arrive pas à me réchauffer.
Je refuse de mettre des cachets dans la glace.
Je suis comme morte, mais en fait j'hiberne.
Je bouge tout doucement, poussée par des amis incroyables qui me tiennent la tête hors de l'eau.
En juin, vers la St Jean, je passe à Dijon chez ma soeur en allant chez un de ces amis, en Champagne.
On fait la fermeture d'un vieux troquet d'habitués.
Et c'est là, devant ce bar miteux où j'hésite à entrer, que je le sens.
Il est à 20 mètres, dans la rue. Je ne le vois pas vraiment, mais je sais.
Tout est comme ralenti, ridiculement cinématographique.
Il ne regarde que moi, il sourit.
Je me marre.
Il sait.
Mon Merlin.
Marchand de tapis et chauffagiste du coeur.
Je suis enfin envie.
mardi, février 13, 2007
2004:31 - année pingouin
Secouant.
Tu disais qu'il était souvent plus simple de remonter le temps.
Maintenant que j'y suis, j'en doute.
Sans recul, j'écris comme on échappe à la noyade.
Les blessures sont trop fraiches, les moments toujours vivants.
Et la mémoire, déjà, me trahit.
2004 ? Mais il ne s'est rien passé en 2004. Si ?
Bien sûr que si.
2004 fut une transition.
La fin d'une période de libération, le début de mon histoire actuelle.
C''est l'année de ma plus belle histoire de sexe avec un homme que je croyais aimer, une histoire qui m'a déconstruite et laissée nue de moi.
C'est aussi l'année où un ami rare m'a présenté la femme dont je tomberai amoureuse.
Mais chuuut, pour l'instant, elle et moi on fait semblant. On a peur, alors on est amies. Et on rit. Tout le temps.
C'est l'année des pingouins, je me dandine maladroitement, poussée par l'instinct vers elle, à des centaines de kilomètres de moi.
Je revois encore la copine devant le cinéma, après deux heures de manchots empereurs, nous dire "bon, on va rester là longtemps, à faire les pingouines sur le trottoir ?"
Qu'est-ce que ça fait du bien !
lundi, février 05, 2007
2005:32 - La bascule (3/3)
L'émotion laisse place à la fête.
Vous êtes là, avec nous.
Vous, c'est l'autre chorale, celle qui vient de loin, 500 km plus au Nord.
Une ville minière et des gueules, des vraies.
Quand je m'agenouille pour chanter, le poing levé, je ne te vois pas.
Puis, soudain, une vague de chaleur me submerge, m'envahit.
Ta voix chaude résonne, moi je ne peux plus chanter.
Je t'ai trouvé.
2005:32 - La bascule (1/3)
Je me revois lire cette lettre, m'écrouler sur le lino de la cuisine, en hurlant.
Je dis non.
Puis j'accepte.
Je crie.
Je ne serai jamais assez spéciale pour quelqu'un.
Au début je résiste, je ne veux plus être son amante, sa chose.
Puis je craque, mon corps me trahit.
Et mon coeur se recroqueville.
Les mois passent, je profite de tout et de tous.
Je ne veux plus me regarder.
Puis il y a ce concert, un soir de déluge.
Il n'est pas venu, bien entendu, mais les autres sont là.
Ceux qui m'aiment malgré moi.
Et leur chaleur me donne des ailes, et de la voix.
Ce soir, je chante,
devant eux,
pour eux,
avec eux.
Je chante en choeur, en rouge et noir, la Résistance et la Liberté.
Je chante la libération des camps.
Les mots sont de Ferré, mais les coeurs sont à nous.
Pour eux.
2005:32 - La bascule (2/3)
Rouge
Ils sont là, on les sent, on les sait,
dans le noir, là,
juste derrière les spots aveuglants,
brûlants.
Ils sont là, tendus vers nous,
attentifs,
aux aguets.
Il fait trop chaud.
Ils sont là mais ne savent pas encore.
Alors on prend le temps,
la note, l'accord,
la respiration.
Le silence tombe.
Ils sont prêts.
Pas moi.
Je ne vais jamais y arriver, jamais.
Trop d'attente,
trop d'émotion à porter,
trop d'images dans ma tête.
Je ne peux plus respirer.
Je voudrais hurler mais je suis paralysée.
Je m'accroche à une main,
une autre me saisit,
nos regards se croisent enfin.
Je ne suis plus seule.
Mon tremblement peut voyager,
de moi à nous,
à eux.
Nous sommes prêts.
Vingt et trois,
en coeur.
Coup de calgon du lundaille
Alors voilà.
Vendredaille, Grodoudou et moi on s'est fait une soirée en namoureux.
Genre simple, mais doux : resto-ciné.
Comme on est tous les deux de grands fans de Fred Vargas, on a été tentés par l'adaptation de Pars vite et reviens tard.
Oui, bon, je sais.
Les adaptations de bons bouquins au ciné, on sait ce que ça donne. Au mieux, on est légèrement déçu, au pire, on pleure le saccage.
Très rarement on a la surprise d'une réussite totale, affranchie de l'original. Je pense au Silence des Agneaux ou à Dolorès Clayborne.
Devinez ?
Ben non, cette fois encore, pas de surprise.
C'était plat, ça sonnait faux, même les acteurs ne rattrapaient pas le tout.
Du Warnier lourdingue à souhait.
Mais ça, passe encore.
Il y a pire.
Si vous connaissez Fred Vargas, vous connaissez Rétancourt.
La seule vraie héroïne qui déchire sa race et qui, attention je vais lacher un gros mot, est GROSSE.
Oui, Rétancourt est grosse !
Y'a intérêt même !
Parce qu'elle sait transformer son énergie comme elle le souhaite.
Parce qu'elle cache Adamsberg derrière elle, en peignoir, au Canada, dans une salle de bain.
C'est une super grosse qui assure un max.
Eh bien chez Warnier, Rétancourt est non seulement inexistante, mais en plus elle est à peine baraquée. Une blondasse tiédasse, quoi. Pas de quoi cacher un José Garcia, même au régime.
Alors là, je dis stop !
Il n'y avait qu'une seule héroïne vraiment terrible, avec des formes autour et on nous l'assassine !
Ils vont jusqu'à nous fourguer une jolie asiatique genre androgyne anorexique à cheveux longs (pour compenser la taille 12 ans) dans le rôle de Camille.
AAAAAAAAAAAARRRRRRRGGGG !
J'avais envie de hurler dans le ciné, je vous jure.
Une vraie nana, dans un polar français, c'était trop demander?
PS : merci à toi, Pensées d'une ronde, d'offrir un espace cri à toutes celles (des millions) qui ne rentrent pas dans le 38 Etam !