vendredi, octobre 26, 2007

Désiré

Il s'appelait Désiré.
Jules. Jules-Désiré.
Elle l'appelait l'un ou l'autre, ou les trois, selon l'humeur.
Désiré le tendre.
Jules le "testaru", plus buté qu'un âne.
Mon papy.

Il avait une moustache, le crâne dégarni,
les cheveux fins, comme moi.
Il gueulait en patois, elle en italien.
Ils m'ont donné le goût des langues en s'engueulant,
en s'aimant.

Mon papy.
Il m'emmenait à la pêche quand j'étais petite, dans la Drôme.
On prenait de la friture qu'elle préparait en riant.
Il entrait parfois dans des colères noires.

Il portait des charentaises, des vraies,
un survêtement,
une "bonnette" l'hiver et un "capéo" l'été.
Elle insistait.

Il était gareur, avant,
mon papy,
il faisait les 3/8 et rentrait au petit matin,
son casque anti-bruit à la main.

Il aimait le saucisson,
son p'tit coup d'rouge, aussi,
et la cafétéria du Géant Casino,
où on allait, le vendredi,
en dimanche.

Il conduisait doucement,
ça m'énervait des fois.

Il était fort
mon papy,
des avant-bras larges et noueux, toujours bronzés, tannés,
les mains comme des battoirs, rapeuses, toujours génées de se poser sur la table.
Il n'arrêtait jamais,
mon papy.

Il domptait les abeilles,
les arbres,
les picodons qui coulent.

Il inventait des monstres,
des cachettes,
des histoires.
Et Gibacier habitait dans le fourré.
Même que la mongolfière du 14 juillet, la toute petite, j'allais monter dedans,
fallait prévoir le K-way.

Il aimait rigoler,
mon papy.

Il m'aimait.
Comme il savait.

Il ne craignait pas les morsures d'insectes,
mon papy,
ni les serpents,
ni les éléments,
ni la mort.

Il aurait haussé les épaules, froncé les sourcils, ennuyé,
il se serait essuyé le front de la main,
il aurait dit : "qu'est-ce que tu veux ? c'est comme ça, hein... c'est malheureux."
Un peu fâché.
Il aurait compris ma révolte, mais il aurait voulu me faire taire,
il aurait essayé.

Mais jamais, jamais, je ne me tairai,
papy,
toujours je veux dire tout cet amour,
toujours.

Il y a eu les cris, les pleurs, les silences,
l'espace et le temps,
entre nous.

Et puis il y a eu samedi,
des mots d'amour dans tous les trous.
Et des bisous.


A mon papy,
Jules,
Désiré.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

tes textes sont toujours aussi évocateurs, ils sonnent juste. Désolé pour ton papy...
à bientôt
Alain